Qu’il soit adulé ou méprisé, le monde des geisha fascine depuis des siècles par les mystères qu’il recèle. Tour à tour musiciennes, poétesses ou simple compagnes de soirée, ces femmes ont en effet soulevé de nombreuses passions. Retour sur l’histoire d’un univers qui intrigue.
Un monde artistique avant tout
Composé du kanji de l’art 芸 (gei) et de celui de la personne 者 (sha), le terme »geisha » (芸者) signifie littéralement »artiste ».
Danse, musique, chant, calligraphie, poésie, ou encore cérémonie du thé, les geisha au Japon se présentent en effet comme de véritables prodiges des arts traditionnels. Afin de maîtriser toutes ces disciplines, elles sont ainsi entraînées dès leur plus jeune âge dans des écoles spécialement prévues à cet effet, situées dans le hanamachi des grandes villes (花町), quartier qui regroupe les salons de thé. Elles résident alors dans des “maisons de geisha” : les okiya (置屋).
Les entraînements y sont intensifs et demandent une grande rigueur que l’on apprend dès son arrivée par le respect de la hiérarchie. En effet, on ne devient pas geisha instantanément ! Et il faut savoir se plier aux règles instaurées par l’okaa-san (お母さん), la propriétaire de la maison et superviseur des artistes. Dès lors, la petite fille qui entre à l’okiya — soit de naissance si sa mère y travaillait soit si elle y a été vendue — aura beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir prétendre au titre tant convoité.
Elle sera ainsi au service de ses aînées pendant son jeune âge en parallèle à ses cours, puis deviendra maiko (舞妓), une apprentie geisha pendant plusieurs années auprès d’une artiste confirmée : une onee-san (お姉さん). Elle lui apprendra alors les ficelles du métier telle une grande sœur spirituelle.
Expertes des arts traditionnels, les geisha au Japon seraient également à considérer comme de véritables œuvres à part entière. Parées des plus beaux kimono (着物) qui soient, maquillées et coiffées avec soin, ces femmes semblent en effet tout droit sorties d’un monde onirique, dont la beauté et l’élégance sont sans égal depuis plus de deux siècles.
De faire-valoir à reines du divertissement
C’est au milieu de l’époque Edo (1603-1867) que le terme geisha apparaît pour désigner les artistes accompagnant les courtisanes du quartier des plaisirs de Kyoto. Et si ces dernières vendent leurs charmes au plus offrant, il n’en est rien des geisha dont le but est déjà de divertir les clients des premières par leur musique et leurs danses.
Leurs talents multiples ne laissent alors personne indifférent et très vite, les geisha ravissent les clients des courtisanes qui sont de plus en plus nombreux à ne revenir dans les maisons closes que pour profiter de leur spectacle. En 1800, il devient même impensable de participer à une soirée privée sans la présence de quelques geisha venues divertir les invités. Petit à petit, on les retrouve également dans de nombreux événements mondains comme les tournois de sumo (相撲), ou les expositions.
Sous Meiji (1868-1912), leur popularité augmente encore. Et les geisha au Japon exercent désormais leur art chez les officiels et les grands patrons. Elles ne jouent alors plus seulement leur rôle d’artiste, mais deviennent un atout majeur dans les transactions commerciales, leur simple présence influençant grandement la signature des contrats. Gravitant dans les hautes sphères de la société, elles sont également très prisées pour leurs relations et servent souvent d’entremetteuses entre leurs clients.
Dans les années 1920, la profession est alors enfin reconnue dans le milieu du divertissement, et on compte plus de 80 000 geisha dans tout l’archipel : c’est l’âge d’or de leur activité. Vingt ans plus tard, le bruit des canons remplace progressivement celui de la musique, les préoccupations sont ailleurs qu’à la fête, et le monde des geisha s’éteint progressivement… mais ne disparaît pas ! Et bien que les okiya aient obligation de fermer en 1944, leurs employées devant travailler dans les manufactures, ils rouvriront un an plus tard.
Moins nombreuses à renfiler leurs kimono, les geisha d’après-guerre peinent alors à reconstruire la grandeur de leur profession, et l’occupation américaine est un véritable coup dur pour l’art du hanamachi. En effet, le manque de travail, mais surtout la concurrence des prostituées se faisant passer pour elles dans le but d’attirer les clients occidentaux en mal d’exotisme vont nuire grandement à l’image des geisha au Japon. Et aujourd’hui encore, le milieu a du mal à se détacher de cette image sulfureuse. Il faudra ainsi attendre les années 1960 pour que le monde du divertissement s’intéresse de nouveau aux geisha.
Un art toujours populaire au XXI siècle
Aujourd’hui, il ne resterait au Japon plus que 1 000 geisha environ, et principalement à Kyoto qui détient le plus célèbre hanamachi du pays, le quartier de Gion.
Situé au cœur de l’ancienne capitale, Gion est l’une des attractions favorites des touristes du monde entier. Et pour cause, parmi les bâtiments d’avant-guerre, il est encore possible d’apercevoir quelques artistes partir travailler en début de soirée. En effet, les geisha actuelles ne travaillent pas jour et nuit. Et elles quittent généralement l’okiya vers 18h, pour y revenir aux alentours d’une heure du matin, avant de rentrer chez elles. La maison de geisha n’est alors plus un lieu de vie, mais un simple bureau qu’on ne fréquente que quelques soirs par semaine, lorsque dîners d’affaires et autres soirées privées sont à l’ordre du jour.
Très convoité, leur art est encore de nos jours réservé à l’élite, et il vous faudra alors débourser entre 500 et 2 500 euros en moyenne pour une soirée en leur compagnie. C’est pourquoi, il est interdit de les prendre en photo par exemple si vous avez la chance de les croiser au détour d’un rue. Bien qu’onéreux, leurs services sont pourtant très prisés à l’heure de la mondialisation, où le Japon connaît un regain d’intérêt pour ses arts traditionnels. Cette nostalgie du »bon vieux temps » est notamment perceptible dans les médias, et plus particulièrement le cinéma, qui plébiscite les geisha, à l’image du bucolique Mémoires d’une geisha, en 2005, qui présente au spectateur l’univers envoûtant du hanamachi à travers les yeux de la jeune Sayuri…
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